L'Édito - semaine du 14 août 2023
En cette semaine du 15 août, certains d’entre-vous sont peut-être en “tracances”, c’est-à-dire en télétravail sur votre lieu de villégiature, afin de prolonger vos vacances de quelques jours. Près de 3 ans après la pandémie de Covid-19 qui a mis le monde à l’arrêt, et contraint bon nombre de salariés à travailler depuis chez eux, force est de constater que le télétravail est pleinement entré dans les mœurs et dans les pratiques RH des entreprises. Néanmoins, les perceptions peuvent diverger entre entreprises et salariés, et des voix s’élèvent pour dénoncer les limites et les excès de cette nouvelle organisation du travail.
En 2023, 47% des entreprises françaises ont recours au télétravail (..)
Le télétravail n’est pas un droit mais un outil mis à la disposition des salariés. Le code du travail ne fixe aucun critère à destination des entreprises pour mettre en place du télétravail, celui-ci s'appliquant ainsi théoriquement à toutes les catégories socioprofessionnelles et toutes les typologies d’entreprise, ces dernières pouvant instaurer du télétravail par simple accord employeur - salarié, par accord collectif, ou par une charte soumise à l’avis du Conseil Economique et Social (CSE). Dans les faits, le télétravail reste réservé à certaines catégories de salariés, ceux ayant la possibilité d’effectuer leurs missions à distance, creusant ainsi l’inégalité entre cols blanc d’une part, et cols bleus de l’autre. En 2023, 47% des entreprises françaises ont recours au télétravail - avec des salariés à distance au moins un jour par semaine - représentant ainsi 55% de la population active.
Alors que de nombreux salariés ont pris goût au télétravail et à ses avantages, le son de cloche est quelque peu différent du côté des employeurs. 76% des employeurs français souhaitent ainsi que les salariés soient présents au bureau 4 jours par semaine, selon une étude publiée en juillet. Comble de cette tendance, l’entreprise Zoom - dont la solution de visioconférence fait aujourd’hui partie du quotidien des (télé)travailleurs - exige désormais un retour au bureau de ses salariés à minima deux jours par semaine pour ceux vivant à moins de 80 km de leur lieu de travail. Un revirement inattendu après avoir favorisé le télétravail intégral.
Entre volonté de contrôle des salariés, et doutes sur leur productivité effective en télétravail, la frontière est fine pour les entreprises.
Entre volonté de contrôle des salariés, et doutes sur leur productivité effective en télétravail, la frontière est fine pour les entreprises. Pour ce qui est de la productivité, les avis divergent ; une récente étude publiée par l’OCDE et menée auprès de chefs d’entreprises et de salariés de 25 pays fait état d’une productivité qui déclinerait après 2 jours de télétravail consécutifs. Parmi les craintes invoquées par les chefs d’entreprises face à un excès de télétravail, on trouve notamment un manque de collaboration entre les salariés, faisant peser un risque sur la productivité de l’entreprise, un manque de sentiment d’appartenance des salariés à l’entreprise, ainsi qu’un potentiel impact négatif sur l’innovation et la créativité. Évidemment, ces constats doivent s’appliquer de façon différenciée en fonction des profils, certains salariés se sentant plus créatifs à domicile, quand d’autres auront besoin d’être sur leur lieu de travail pour gagner en concentration et en productivité.
De plus, 60% des Français interrogés ayant recours au télétravail se déclarent “plus productifs” à domicile, et 70% louent une meilleure conciliation de leur vie professionnelle et familiale, contrastant avec les doutes émis par les chefs d’entreprises.
Néanmoins, l’étude souligne également que la productivité est d’abord liée à la qualité du management, acquittant ainsi le télétravail de son rôle de coupable idéal face à l’inertie des salariés. De plus, 60% des Français interrogés ayant recours au télétravail se déclarent “plus productifs” à domicile, et 70% louent une meilleure conciliation de leur vie professionnelle et familiale, contrastant avec les doutes émis par les chefs d’entreprises. Cependant, un déséquilibre semble se faire jour en faveur des hommes. En effet, selon le Haut Conseil à l’Egalité (HCE), les femmes sont plus nombreuses à avoir recours au télétravail que les hommes. Si ce constat peut sembler anodin en première lecture, le HCE pointe un risque de “réassignation à domicile” pour les femmes, expliquant en partie cette surreprésentation des femmes en télétravail par l’inégale répartition des tâches domestiques, poussant les femmes à davantage rester chez elles que les hommes. Cela peut induire un frein dans leur évolution de carrière avec une déconnexion plus importante des réseaux professionnels, une invisibilisation de leur productivité, et un risque de surexposition aux violences conjugales. L’androcentrisme pointé dans un précédent édito en matière de santé au travail semble malheureusement se refléter également dans l’usage du télétravail.
L’essor du télétravail pose également la question des risques juridiques associés à cette pratique pour les employeurs. Selon une étude publiée en mars dernier par l’Association Nationale des DRH (ANDRH), 84% de ceux interrogés plaident pour une adaptation du code du travail afin de mieux encadrer le télétravail, notamment en simplifiant le suivi effectif du temps de travail, et en clarifiant le rôle de l’employeur en matière de santé et de sécurité en télétravail. Ils se montrent également favorables à la création d’une notion de responsabilité partagée entre employeur et employé, en cas de non-respect des normes de sécurité ou des horaires légales de travail par le télétravailleur.
Enfin, de façon surprenante, 80% des employeurs français indiquent que les perspectives d’évolution salariale sont plus limitées pour les salariés travaillant de façon hybride. Après l’inégalité entre salariés en mesure de télétravailler, et ceux dont les missions nécessitent une présence sur site, la nouvelle inégalité se cacherait-elle entre salariés adeptes du télétravail et ceux préférant l’assiduité au bureau ?
Par Léa Trentalaud, consultante senior chez CHEFCAB
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