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  • Sara Durier

Martine Guérin : “Concilier efficacité économique et épanouissement humain, c’est possible !”


Martine Guérin est présidente du Syndicat des Consultants et Formateurs Indépendants (SYCFI). Au sein de son cabinet de conseil, elle accompagne le changement dans les organisations du secteur public depuis 1976.


Vous soutenez des dirigeants face aux transformations de leur environnement organisationnel. Quelles évolutions des compétences observez-vous ces dernières années ?

J’ai commencé à travailler dans les années 1970, au moment des premières lois sur la formation professionnelle. De par mon expérience et mon engagement au sein du SYCFI, j’ai une vue globale sur les évolutions traversées par les secteurs publics et privés. Selon moi, nous sommes à un moment crucial de l’évolution des compétences.

Alors que le monde du travail est dans un mouvement permanent, il est aujourd’hui indispensable de se former régulièrement pour rester compétent. Cette donnée doit être intégrée par des organisations, qui aspirent encore à recruter des talents déjà prêts à fonctionner. Il s’agit là d’un comportement de consommateurs, qui génère des déceptions et des frustrations, tant pour les entreprises que pour les actifs !

Par ailleurs, le contenu des compétences a changé. En plus de maîtriser sa procédure de travail, un actif doit avoir un certain savoir-être, savoir-agir. Autrement dit, il doit être capable de travailler en équipe, d’anticiper, ou encore de conseiller sa hiérarchie.


« C’est un véritable renversement à la fois des contenus et des relations dans la gestion des compétences, qui exige une révolution intellectuelle dans les organisations ».

Les organisations ont-elles davantage le souci du développement des compétences de leurs collaborateurs ?

Les start-ups ne sont pas confrontées à ces problématiques, puisque leur fonctionnement repose déjà sur une relation de confiance et le partage de valeurs communes entre les collaborateurs.

Dans le secteur public, ce sujet est investi de façon variable, en fonction de la personnalité des dirigeants. Par exemple, les collectivités territoriales ont des programmes de formation très riches. Cependant, la difficulté n’est pas tant celle des moyens ou des contenus, que la réception des formations. Dans certains endroits, certes de moins en moins nombreux, c’est encore le XIXe siècle... Y compris en termes d’équipements technologiques…

Au cours de votre carrière, vous avez accompagné des organisations prestigieuses et complexes comme le Ministère de la Justice. Pouvez-vous partager avec nous votre plus grand défi ?

Avant de lancer mon cabinet de conseil, j’ai justement relevé le plus grand défi de ma carrière, celui d’accompagner le changement de statut d’un ministère en Société Anonyme (SA), dans lequel je travaillais. Cette organisation comptait 300 000 personnes ! J’étais responsable de 120 consultants internes, et pendant 15 ans, j’ai œuvré pour l’évolution de la culture managériale et des compétences. Dans le même temps, le premier ministre, Michel Rocard, promouvait de nouvelles méthodes managériales, et on m’a confié le pilotage de l’élaboration de la méthodologie de “conduite de projet” pour l’ensemble de la fonction publique. Aujourd’hui, c’est devenu commun !

Pour prendre part à cette grande transformation, j’ai été formée aux sciences humaines, notamment à la psychologie sociale et la sociologie des organisations. En effet, pour diffuser progressivement la culture du management dans les institutions publiques, le gouvernement a fait le choix de soutenir et de spécialiser les fonctions et la formation de fonctionnaires comme moi. Dans ce cadre, j’ai suivi des formations d’excellence, très en avance sur leur temps et qui sont vulgarisées aujourd’hui. Je suis très reconnaissante pour ce qui m’a été transmis.

Finalement, vous êtes vous-même le résultat d’un développement des compétences tout au long de la vie…

Tout au long de la vie ! Aujourd’hui, je continue encore à me former. J’ai dernièrement digitalisé mon activité, avec du coaching en visioconférence.

Avec la pandémie, vous avez su poursuivre votre activité à distance. Quelles sont les limites de l’accompagnement par écrans interposés pour le formateur ?

Les formations de conduite de projets supposent de comprendre la dynamique de groupe. Comment se répartissent les tâches ? Quels sont les éventuels conflits de pouvoir ? La relation physique compte énormément ; l’énergie est palpable et les comportements, interactifs physiquement. A distance, chaque membre du groupe est isolé derrière son écran. Les conflits sont alors moins visibles pour le formateur, mais existent bel et bien et éclatent autrement (à la pause ou par la coupure totale de la communication en dehors des temps de formation).

Selon vous, la culture d’entreprise est-elle affectée par le passage des formations en distanciel ?

Bien sûr ! Positivement ! et Négativement.

La formation à distance est un moyen de développer des compétences d’auto-développement. Je pense que se réunir en visioconférence pour une formation ne poursuit pas le même objectif qu’en présentiel. C’est autre chose, c’est discuter ensemble. A distance, les actifs développent leur autonomie et leur curiosité, car pour se présenter dans le groupe, il faut s’être intéressé à un sujet en amont. A terme, cette méthode peut élever le niveau global des connaissances et la qualité de la réflexion…

Néanmoins, je constate deux aspects négatifs. D’une part, ce support oblige le formateur à “aller chercher” publiquement les membres du groupe qui n’exposent pas spontanément leur opinion, ce qui peut être mal vécu par les participants. D’autre part, dans l’accompagnement des personnes à créer leur compte de CPF (Compte personnel de formation), je constate qu’une proportion non négligeable de personnes ne maîtrisent pas le fonctionnement de leur téléphone mobile. Cet inconfort avec les nouvelles technologies ne concerne pas uniquement les personnes âgées…

Vous avez pour devise : “Concilier efficacité économique et épanouissement humain”. Comment parvenez-vous à soutenir cette thèse auprès des organisations ?

C’est un a priori de ma part, que beaucoup de consultants partagent. Je crois que pour être efficace sur son poste de travail, il faut être heureux et aimer ce que l’on fait. Lorsque ces conditions sont réunies, les résultats sont bénéfiques tant pour les entreprises que pour les salariés. Pour moi, l’économie et l’humain sont convergents.

Au sein de votre cabinet de conseil et du SYCFI, quelle société des compétences défendez-vous ?

Avec la réforme de 2018, la notion de “développement du plan de formation” a évolué vers celle du “développement du plan de compétences''. Cependant, la majorité des entreprises n’a pas encore bien saisi ce que cette transformation implique.

Nous raisonnons encore en termes de catalogues de formations, au moment où il faudrait penser le développement de la carrière d’un professionnel au sein de son entreprise. Le SYCFI défend activement cette vision du “développement des compétences”.

Ainsi, les entreprises ont retenu de la loi “Avenir professionnel” le changement de sigle, des OPCA aux OPCO. Ces fameux OPCO continuent d’ailleurs à faire des catalogues ! Actuellement, le plan de compétences reste encore trop tourné vers l’élévation du niveau de connaissances des actifs… Pour que la formation ait un véritable impact, il est temps de redéfinir les objectifs du développement des compétences. Selon moi, il devrait viser avant tout la transformation d’une personne. Aujourd’hui, la personnalisation des formations n’est pas suffisante.

« Nous devons pouvoir évaluer si les dispositifs ont permis ou non de changer le cours d’une vie ! »





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