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Le plein-emploi en majesté à l'Assemblée nationale

Si l’entente cordiale était de mise au Sénat ce jeudi, à l’occasion du discours de Charles III devant la chambre haute, l’ambiance était bien différente quelques heures plus tôt dans le huis-clos de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale. En effet, après son adoption en première lecture au Sénat avant l’été, le projet de loi plein-emploi est arrivé sur la table des députés. Alors que l’examen du projet de loi en commission des affaires sociales jouait les prolongations au-delà de minuit ce jeudi, les parlementaires issus de la Nupes, du groupe Liot et des Républicains ont claqué la porte, jugeant que l’heure tardive ne permettait pas d’examiner le texte dans de bonnes conditions. En préfigurant la mise en œuvre de France Travail, chantier central du second quinquennat d’Emmanuel Macron, ce texte revêt ainsi une importance capitale pour l’exécutif. Si l’objectif d’atteindre le plein-emploi semble faire consensus au sein de la classe politique, les moyens pour y parvenir divisent.


"Et pour cause, le contrat d’engagement, qui doit lier demandeurs d’emplois, bénéficiaires du RSA, et jeunes ni en emploi ni en formation au futur opérateur France Travail, cristallise les tensions."

La majorité issue de la droite et du centre au Sénat a ainsi fixé une durée hebdomadaire minimale de 15 heures d’engagement, pouvant donner lieu à des sanctions en cas de non-respect par les futurs inscrits à France Travail. L’amendement afférent voté en première lecture au Sénat précise cependant que “cette notion d'activité doit être envisagée de manière large et comprendre toute action concourant à l'insertion du demandeur d'emploi, en fonction de sa situation et de ses besoins”. Devant la commission des affaires sociales de l’Assemblée Nationale ce lundi, le ministre du Travail, du Plein emploi et de l’Insertion a pour sa part indiqué que les 15 à 20 heures d’engagement devaient rester un objectif, mais ne pouvaient s’appliquer de façon indifférente à tous les profils, s’inscrivant en faux avec l’amendement porté par la droite au Sénat. Olivier Dussopt préconise ainsi une “montée en charge progressive” de la durée hebdomadaire d’engagement, afin de tenir compte des situations individuelles de chacun. La nature même de l’engagement pourra varier, et s’apparenter à des actions “de formation, d’accompagnement et d’appui”. Le ministre s’est par ailleurs évertué à rassurer sur la nature du contrat, indiquant qu’il ne s’agissait en aucun cas de “travail gratuit, ni de bénévolat obligatoire”. Les sénateurs ont également acté une suspension temporaire du versement du RSA en cas de non-respect du contrat d’engagement par le bénéficiaire, somme qui pourra être restituée - dans une limite de 3 mois d’allocation - si le bénéficiaire se conforme à ses obligations. Cette “suspension-remobilisation” est soutenue par le gouvernement.


Du côté gauche de l’hémicycle, les critiques vont bon train à l’endroit de ce texte. Le député PS Arthur Delaporte, s’exprimant au nom de la NUPES a qualifié ce dernier “d’énorme danger”, s’apparentant selon lui à un démantèlement du service public de l’emploi. Le député s’appuie sur les conclusions d’une note de la Fondation Jean Jaurès, qu’il a lui-même co-rédigée aux côtés de 3 chercheurs et conseillers proches du Parti socialiste, et opportunément publiée à la veille du début de l’examen du projet de loi à l’Assemblée nationale. La note présente le projet de loi plein emploi comme visant à “restreindre l’accès au principal filet de sécurité de ceux qui n’ont plus rien.”.

"Considérant les 15 heures hebdomadaires du contrat d’engagement comme une forme de travail déguisé, les auteurs de la note estiment qu’avec un RSA à environ 600 euros par mois, les heures réalisées chaque semaine par les bénéficiaires seront “rémunérées” à hauteur de 7 euros de l’heure, soit moins que le SMIC."

Le principe même de la “suspension-remobilisation” souhaitée par le gouvernement est également remis en cause. S’appuyant sur des comparaisons internationales, et sur les travaux du prix Nobel d’économie Esther Duflo, les auteurs indiquent que la sanction est “au mieux inefficace, au pire contre-productive”, en cela qu’elle génère un mal être chez les individus, sans pour autant lever les freins qui entravent leur retour à l’emploi. Par ailleurs, la réforme est jugée financièrement inapplicable, puisque les rédacteurs chiffrent son coût à près de 10 milliards d’euros par an pour assurer un accompagnement efficace des bénéficiaires, quand le gouvernement table sur 2,3 à 2,7 milliards d’euros sur 2 ans. Enfin, la note présente un projet de “contre-réforme”, qui créerait un “droit à l’accompagnement opposable” pour les personnes éloignées de l’emploi, accompagné d’un RSA inconditionnel et versé automatiquement. Les auteurs plaident également pour une revalorisation de l’allocation, et une ouverture de ce droit aux jeunes de 18 à 25 ans.


Au regard des positions antagonistes qui s’affrontent sur ce projet de loi, et des tensions mises au jour en commission des affaires sociales, l’examen du texte dans l’hémicycle - qui débutera lundi prochain - s’annonce mouvementé. Auditionné par la commission des affaires sociales, Olivier Dussopt a déclaré “contre le chômage, nous n’avons manifestement pas tout essayé”, paraphrasant au passage François Mitterrand pour mieux le contredire. Reste à savoir si le gouvernement parviendra à transformer l’essai avec ce texte, et in fine à atteindre le plein-emploi.

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