L'Édito - semaine du 24 juillet 2023
Début juillet, je soulignais dans un précédent édito l’émergence du terme “rationalisation” dans le vocabulaire des membres du gouvernement, particulièrement du côté du ministère de l’Économie. Comme pour préparer les esprits, la communication gouvernementale insistait sur la nécessité de tourner la page du “quoi qu’il en coûte” pour écrire celle de la rationalisation des dépenses et des dispositifs. Dans le même temps, la Cour des comptes et France Stratégie appuyaient ce discours par la publication de rapports alertant sur le manque d’efficacité de certains dispositifs pilotés par le ministère du Travail, appelant à une régulation de l’offre de formation et à l’instauration d’un reste à charge sur le CPF.
La sortie médiatique de Bruno Le Maire cette semaine au micro de France Info apporte une série d’éléments nouveaux permettant d’expliciter cette fameuse rationalisation. Bercy, qui prépare le prochain projet de loi de finances pour 2024, a revêtu le costume de juge arbitre pour distribuer les bons et mauvais points à chaque ministère. En annonçant mercredi que l’État récupérera "la moitié des 2,5 milliards d'euros de trésorerie excédentaire" dès 2024 auprès de ses opérateurs, Bruno Le Maire envoie un signal clair à quelques semaines de la présentation du budget : la ceinture se resserre.
Mardi, Bruno Le Maire a parlé de la “chance” de ces opérateurs qui ont bénéficié de dotations importantes de l’État (on parle de 76,6 milliards pour l’année 2023), leur permettant d’accumuler “une trésorerie abondante” que “rien ne justifie”.
Pour tenir sa promesse de présenter un budget en baisse à l’automne, le ministre de l’Économie a nommément désigné une série d’opérateurs concernés par cette revue des dépenses publiques. Étonnamment, au cœur de l’examen du projet de loi pour le plein emploi porté en étendard par le gouvernement pour atteindre l’objectif fixé par le Président de la République, Pôle Emploi figure sur le podium des opérateurs rattrapés par la patrouille pour trop perçu. Mardi, Bruno Le Maire a parlé de la “chance” de ces opérateurs qui ont bénéficié de dotations importantes de l’État (on parle de 76,6 milliards pour l’année 2023), leur permettant d’accumuler “une trésorerie abondante” que “rien ne justifie”. Sorties de leur contexte, les déclarations du ministre auraient pu sembler être adressées à des multinationales ayant abusivement tiré partie du plan de relance pour accroître leurs profits. Mais il s’agit bien ici d’opérateurs publics, chargés de mettre en œuvre la politique du gouvernement.
Catherine Laumont, secrétaire nationale de la CFDT à Pôle emploi a fait part de son inquiétude (..) “faire une loi 'Plein-emploi' sans moyens, c'est bizarre".
Des vents contraires semblent parfois souffler dans les voiles des acteurs publics du paysage de l’emploi et de l’insertion, entre excédents de trésorerie et impératif du plein emploi. Doit-on conclure que l’objectif d’atteindre 5% de taux de chômage à l’horizon 2025 est compatible avec une rationalisation (encore elle) des dépenses ? C’est en tout cas une question qui semble se poser du côté des syndicats. Catherine Laumont, secrétaire nationale de la CFDT à Pôle emploi a fait part de son inquiétude face à cette ponction annoncée dans la trésorerie de l’opérateur, soulignant que “faire une loi 'Plein-emploi' sans moyens, c'est bizarre". Exercice d’équilibriste que l’ancien locataire de Bercy, en tant que ministre des comptes publics, connaît plus que bien. Olivier Dussopt, aujourd’hui ministre du Travail, déclarait justement en juin devant les sénateurs de la commission des affaires sociales que sa réforme France Travail représente un besoin de financement de l’ordre de “2,2 à 2,7 milliards d'euros en cumulé sur trois ans”. Dès lors, il est plus que probable que les oppositions parlementaires profitent des débats à venir sur le PLF 2024 pour contester la cohérence du gouvernement, louvoyant entre baisse des dépenses de l’État et mobilisation de la puissance publique pour atteindre le plein emploi.
Toujours est-il que, grâce à sa trésorerie abondante ou non, Pôle Emploi a publié des données indiquant un nouveau recul du nombre de demandeurs d’emploi de catégorie A. Les titres de presse les plus optimistes ont ainsi souligné cette semaine “un chômage qui continue de baisser”. Certes, mais cette baisse semble surtout s’apparenter à une stagnation depuis plusieurs trimestres, dans un contexte de ralentissement de la croissance. L’horizon du plein emploi en 2027 pourrait s'assombrir si cette tendance devait poursuivre, et nécessiter un surcroît d’investissement de l’État pour tenir le cap. Car la chance ne suffira pas.
Par Corentin Dattin, consultant senior chez Chefcab
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