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  • Photo du rédacteurNicolas Citti

Chômage et tensions de recrutement : le paradoxe du plein emploi

L'Édito - semaine du 21 août 2023


Il y a quelques années, je disais qu’il suffisait de traverser la rue, là il faut faire un mètre” affirmait en mai dernier Emmanuel Macron en réponse à un demandeur d’emploi qui l’interpellait lors d’un déplacement à Dunkerque. La polémique avait déjà enflé en 2018 lorsque le chef de l’État avait proposé à un jeune sans emploi de l’accompagner sur le trottoir d’en face pour trouver un travail. Derrière ces phrases dont Emmanuel Macron a le secret se trouve pourtant une réalité, celle de difficultés de recrutement importantes dans de très nombreux secteurs d’activité, source d’inquiétudes pour les entreprises et les administrations concernées.


(..) rien que pour la fonction publique d’État, les effectifs ont diminué de près de 6000 personnes en 2022 sans que cela ne soit réellement voulu ou maîtrisé.

Car le secteur privé n’est effectivement pas seul confronté à ce phénomène qui s’installe et perdure. Le recrutement et l’attractivité sont le fil rouge de l’action du ministre Stanislas Guérini en charge de la transformation de la fonction publique, alors que l’État et les collectivités peinent à attirer de nouveaux talents : experts du numérique, médecins, enseignants, personnels administratifs… Au total, rien que pour la fonction publique d’État, les effectifs ont diminué de près de 6000 personnes en 2022 sans que cela ne soit réellement voulu ou maîtrisé. En cause, le manque d’attractivité de l'administration, la faible progression des carrières, les mauvaises conditions de travail… Le lancement dans les prochaines semaines d’un Campus du numérique public au sein de l’administration, en plus du dispositif d’ampleur “Choisir le service public”, illustre à lui seul le défi auquel est confronté l’État pour remplir ses rangs.


Côté privé, quel secteur d’activité n’est pas confronté aujourd’hui à des tensions de recrutement ? Preuve que le sujet est pris au sérieux, le ministère du Travail a lancé en octobre 2021 un plan de réduction des tensions de recrutement, renouvelé en 2022. Selon les chiffres de la rue de Grenelle, à l’été 2022, “plus de 60 % des entreprises faisaient état de difficultés de recrutement, soit un peu plus du double de 2015.” Une situation “qui heurte le bon sens” selon Emmanuel Macron, justifiée par le gouvernement par la création de centaines de milliers d'emplois en un temps réduit. Dans un avis de janvier 2022, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) pointait une série d’autres facteurs : l’attractivité de l’emploi, avec la question des salaires et des conditions de travail, la représentation des professions, l’efficacité du système d’orientation, de formation et de certification ou encore l'inadéquation entre la qualification ou la localisation avec le profil recherché par les entreprises.


(..) 30% des entreprises seraient amenées à restreindre leur activité en raison des difficultés de recrutement auxquelles elles sont confrontées.

Cette situation est loin d’être neutre sur plusieurs aspects. Le baromètre trimestriel de BPI France intitulé “Trésorerie, Investissement et Croissance des PME/TPE” publié en mai 2023 souligne que 30% des entreprises seraient amenées à restreindre leur activité en raison des difficultés de recrutement auxquelles elles sont confrontées. 78% ont eu du mal à recruter au cours des 12 derniers mois et 56% considèrent cela comme un frein à la croissance. Les fonds importants déployés par l’État pour relancer l’économie au sortir de la crise Covid voient donc leur efficacité limitée par ce principe de réalité. D’autre part, à moins d’un an du lancement des JOP de Paris 2024, les tensions de recrutement qui pèsent sur les secteurs de l'événementiel, de la sécurité, de la restauration ou des transports obligent les pouvoirs publics à composer différemment. À titre d’exemple, s’agissant de la sécurité des Jeux, les rumeurs s’amplifient de jour en jour quant au recours à l’armée pour suppléer les effectifs de sécurité privée. Les Échos chiffre entre 22 000 et 25 000 le nombre d’agents privés à recruter d’ici à la cérémonie d’ouverture, dans un secteur qui rencontre déjà des pénuries de candidats durables. Dans ce contexte, le ministère du Travail et le ministère de l’Intérieur ont travaillé à la création d’une formation allégée de 106H pour former plus de monde, plus vite.


(..) des actions fortes devront être décidées conjointement avec les partenaires sociaux pour apporter des réponses concrètes aux nouvelles attentes des actifs vis-à-vis de leur travail (..)

Pôle Emploi comptabilise paradoxalement 3,3 millions d’intentions d’embauche pour 2023 et 2,7 millions de personnes sans emploi. Ce simple constat du décalage entre offre et demande d’emploi est à l’origine de la mission confiée au Haut commissaire à l’emploi et à l’engagement des entreprises, Thibaut Guilluy. Les débats qui vont reprendre fin septembre à l’Assemblée nationale autour du projet de loi en faveur du plein emploi doivent déboucher sur la création de France Travail dont le rôle est précisément d'améliorer le fonctionnement du service public de l’emploi. Organisés en silos, les acteurs de l’insertion nagent parfois dans des couloirs différents pour atteindre le même objectif, créant de la complexité là où la situation particulièrement tendue appelle à un maximum d’efficacité. En parallèle, des actions fortes devront être décidées conjointement avec les partenaires sociaux pour apporter des réponses concrètes aux nouvelles attentes des actifs vis-à-vis de leur travail : conciliation de la vie professionnelle et personnelle, mobilité, rémunération ou sens du travail figurent parmi les thèmes prioritaires. Le nouveau “Pacte de la vie au travail” souhaité par l’exécutif aura fort à faire.


Par Corentin Dattin, consultant senior chez CHEFCAB

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