Nicolas Citti
Assurance-chômage : le temps des combats
À l’image de Sisyphe, condamné à porter vainement un rocher sur la pente d’une colline, les partenaires sociaux ont rouvert l’épineux dossier de l’assurance-chômage, avec comme objectif de mener à leur terme les pourparlers sur le cadre normatif du dispositif et ainsi d’éviter, comme ce fut le cas en 2019, une reprise en main par le gouvernement.
Actuellement, les organisations de salariés (CFDT, CGT, FO, CGE-CGC, CFTC) et d’employeurs (Medef, CPME, U2P) sont pleinement dans le rôle qui leur incombe. Celui de fabriquer les normes du régime de l’assurance-chômage et de définir les contours des règles d'indemnisation qui en découlent. Ainsi, depuis mardi, réunies au siège du Medef, elles se concertent, et affûtent leurs armes pour les négociations à venir, avec en ligne de mire un accord signé sous la forme d’une convention d’ici le 15 novembre.
A première vue, en cette période de rentrée - qui est venue avec son lot de polémiques - le sujet pourrait nous sembler anecdotique, réservé aux conversations d’experts en finances sociales et aux savoureux décryptages de BFM Business. Pourtant, ce qui se joue actuellement est en réalité le début d’un long bras de fer entre les partenaires sociaux et l'exécutif, avec en toile de fond la future réforme du plein-emploi et le chantier France Travail.
" [...] le début d'un long bras de fer entre les partenaires sociaux et l'exécutif "
En effet, si l’exécutif a indiqué que les partenaires sociaux auraient d’importantes latitudes pour mener les négociations, en pratique, le document de cadrage transmis pendant l’été par Matignon vient corseter et contraindre d’emblée les échanges. Au-delà de simples documents d’orientation, c’est bien un véritable cadre qui s’impose aux parties prenantes. D’ailleurs, le cadrage 2023 apparaît plus contraint que celui de 2018, ce qui pourrait réduire davantage le chemin d’un accord. Le gouvernement entend, par exemple, imposer le maintien des mécanismes de baisse de la durée des indemnités en fonction de la conjoncture, mesure vivement contestée par les syndicats.
Aussi, les syndicats vont-ils s’affranchir de la lettre de cadrage envoyée par l'exécutif ? C’est ce que laissait entendre jeudi le chef de file des négociateurs du Medef, Hubert Mongo. Se disant très attaché à la gestion paritaire, il a accusé les pouvoirs publics de “brouiller les responsabilités et les modalités de financement de différents dispositifs de la politique d’emploi”. Dans le même temps, sous une formule beaucoup plus franche et directe - dont la CGT détient le secret - Sophie Binet a rappelé la position de son syndicat : “(..) la lettre de cadrage est scandaleuse (..) on ne veut pas la respecter”. Sans surprise, les débats promettent d’être musclés.
" Sans surprise, les débats promettent d'être musclés "
In fine, derrière ces prises de position médiatiques, quel est l’objectif véritable de l’exécutif ? Deux objectifs peuvent être mis en lumière. D’une part, désendetter le régime de l’assurance chômage - d’un montant de 56 milliards d’euros€ en cette fin d’année - et de l’autre, financer la réforme du service public de l’emploi en ponctionnant les excédents de l’Unédic pour les rediriger vers le financement de la politique en faveur du plein-emploi. Peut-on parler alors d’un assèchement de recettes ? Voire de “hold-up” ? Côté partenaires sociaux, ce n'est pas tant le processus qui pourrait gêner, mais bien les montants projetés par l’exécutif - 2 milliards d’euros en 2023, jusqu’à 4 milliards d’euros en 2026 - qui représenterait entre un tiers et la moitié des excédents anticipés par l’Unédic…
Dès lors, nous comprenons que derrière la négociation des partenaires sociaux réside, de façon sous-jacente, le calendrier politique de l'exécutif, notamment son ambition de réformer le service public de l’emploi et de baisser durablement la courbe du chômage.
En définitive, bien que le dossier de l’assurance-chômage peine à mobiliser l’attention des cotisants, le sujet n’en est pas moins important au regard des éventuelles répercussions sur le modèle paritaire, dans la mesure où un nouvel échec des négociations serait synonyme d'étatisation du régime d'assurance-chômage et d’affaiblissement de la gestion paritaire à l’Unédic. Si le gouvernement se substitue une seconde fois aux partenaires sociaux par une série de décrets, cela pourrait remettre durablement en cause la présence des organisations syndicales et patronales dans de futures négociations liées aux régimes des dispositifs sociaux, et, dans une plus large mesure, remettre en question le modèle français du paritarisme, pensé au lendemain de la Seconde Guerre mondiale par le Conseil national de la Résistance.
Nicolas Citti